Qui veut noyer son opposant l’accuse de terrorisme

Depuis les évènements de 19 aout 2017, le gouvernement togolais recourt systématiquement à ce lexique pour stigmatiser le PNP et Tikpi Atchadam afin de disqualifier son combat et de délégitimer les revendications formulées dans la foulée des marches populaires. Dans sa fameuse interview à Jeune Afrique du 20 décembre dernier, le chef de l’Etat togolais a fait valoir que la virulence de la contestation était imputable à un nouveau parti « radicalisé » qui, par la violence de son discours et son mode opératoire belliqueux, menace de faire basculer le pays au mieux dans un scénario insurrectionnel, au pire le plonger dans l’« arc de crise terroriste qui va du Mali au lac Tchad». Un parti dont le Colonel Agadazi Ouro-Koura, accessoirement ministre de l’Agriculture, accuse le leader d’appropriation de symboles culturels (les deux personnalités étant d’ethnie Kotokoli-Tem et ayant en partage le symbolique cheval blanc cabré sur fond rouge devenu l’effigie du PNP) et d’avoir « fini (sa) course dans un mouvement djihadiste ». Que faut-il penser de ces accusations ? Que faut-il entendre par ces chefs d’accusation ? Explications.

Politique de l’antipolitique

L’islamisme d’où dérive le djihadisme est une notion polysémique. On peut y entendre (1) une idéologie politique visant l’islamisation de la politique ou (2) une idéologie religieuse aspirant à la politisation de l’Islam par des moyens plus ou moins violents.
L’islamisation de la politique vise l’érection par des moyens souvent violents d’une théocratie nationale ou califale dont le Coran serait la Constitution et la Charia le code pénal. L’islamisation complète de la politique telle que portée par les mouvements djihadistes contemporains d’inspiration fondamentaliste vise à soumettre totalement la politique à la religion. De façon quintessentielle, ce courant est incarné par le défunt proto-Etat islamique (Daech) dont le Calife Abu Bakr Al Baghdadi s’est autoproclamé commandeur de tous les croyants musulmans (Oumma) de l’Indonésie au Sénégal. On recense des épigones de ce courant minoritaire dans l’Islam un peu partout dans le monde. En Somalie, ces idéaux sont incarnés par les Tribunaux islamiques qui ont tenté avec échec de s’imposer sur les ruines de cet État failli. Au Nigeria, le groupe Boko Haram devenu l’État islamique en Afrique de l’Ouest suite à son allégeance à Daech, fonctionne sur le même agenda politique.
La politisation de l’islam suppose une instrumentalisation, dans le cadre intentionnel légal, des textes coraniques au service de desseins politiques avec pour objectif final de déboucher sur l’apocalypse du politique. Dit autrement, c’est armer l’islam contre la politique, en tant qu’espace autonome d’action de la société sur elle-même en dehors de toute détermination divine. Dans cette configuration, le gradient se mesure à la hauteur de la dose plus ou moins létale d’islamisation à injecter dans la politique. Cette tentation de politisation de l’islam vise souterrainement un projet antipolitique, qui consiste à utiliser la démocratie contre elle-même. Certains partis islamistes comme les Frères musulmans d’Égypte se sont soumis au jeu électoral dans le but inavoué d’aboutir à la théocratie. Pour ces mouvements, qui se revendiquent d’être des pendants musulmans des partis « démocrates-chrétiens » en Europe, la démocratie est souvent un moyen pour atteindre leur but ultime : l’islamisation totale de la société. À l’instar des nazis qui sont passés par les urnes pour imposer leur dictature totalitaire, ceux-ci veulent instaurer « démocratiquement » une dictature théocratique.

Vous avez dit djihadisme ?

Malgré son utilisation inflationnelle actuelle, la notion de djihadisme reste rebelle à une conceptualisation univoque. Le djihadisme dérive du précepte musulman de djihad qui signifie à la fois (1) un effort d’élévation spirituelle (djihad personnel et inoffensif) ou (2) le combat contre les infidèles et les hypocrites (djihad (contre)-offensif). Les organisations terroristes qui déploient des actions violentes au nom de cette idéologie islamiste se réfèrent à la seconde acception pour justifier leur passage à l’acte. Le djihadisme contemporain puise ses racines généalogiques dans deux sources : l’Égypte et l’Arabie saoudite. Les Frères musulmans égyptiens et le salafisme wahhabite saoudien ont allumé l’étincelle du feu qui ravage le monde musulman. Le wahhabisme a fourni le corpus théologique alors que les Frères musulmans ont forgé la matrice politique.
L’imaginaire collectif associe de façon moqueuse le djihadisme à la rétribution charnelle qu’elle promet aux martyrs dans l’au-delà. Contradictoirement, cette promesse fournit une motivation surhumaine aux djihadistes qui se battent en définitive pour mourir plus que pour vivre. Dans cette conception morbide de la guerre, la mort est une victoire sur l’adversaire. Sur le plan stratégique, cette croyance sert à combler le fossé technologique entre les forces insurgées et les troupes occidentales dans un Moyen-Orient en proie à des guerres asymétriques opposant des drones aux kamikazes, des frappes chirurgicales aux meurtres de masse, etc. En bref, la politique du kamikaze vise la kamikazisation de la politique.
Après ce détour sémantique et sur la foi des déclarations publiques de Tikpi Atchadam, il serait hasardeux de postuler que ce dernier aspire à « politiser l’islam » ou à « islamiser la politique » au Togo. On ne peut objectivement pas supputer d’ambiguïté sur ce fait.
En revanche, on ne peut pas non plus évacuer sans examen préalable, l’accusation de collusion avec des monarchies du Golfe dans le but d’empêcher le rapprochement entre Israël et les États africains, dont la diplomatie togolaise a été la principale cheville ouvrière.  Sur l’échiquier géopolitique de la région moyen-orientale, Israël est la bête noire de ses voisins musulmans qui ne reculent devant aucun sacrifice pour lui damner le pion sur la scène mondiale. L’annulation du sommet Afrique-Israël initialement prévu à Lomé en octobre 2017 a permis opportunément à ces dernières de conjurer le péril d’un réchauffement diplomatique entre l’État hébreu et le continent africain. “Benjamin Netanyahu avait mené la campagne la plus robuste depuis la politique de Golda Meir [la première ministre d’Israël entre 1956-1966] dans les années 1950. Le Sommet du Togo était censé être le couronnement de son rapprochement avec les États africains, d’autant qu’il a réussi à convaincre les pays les plus réticents en Afrique d’assouplir leur position vis-à-vis d’Israël ” comme le soulignait l’article jubilatoire qu’Al Jazeera a consacré au renvoi aux calendes grecques du sommet. Le média qatari impute l’annulation à la contestation politique qui secouait la capitale togolaise, malgré les démentis ultérieurs qu’apportera le chef de l’État togolais. Simple coïncidence de calendrier ou l’organisation de la marche du 19 août 2017 par le PNP d’Atchadam visait-elle le sommet ? Encore une fois, il est impossible d’établir objectivement de tels rapprochements. Cependant, une chose est sure, les fondations et autres organisations caritatives du golfe ne rechignent pas à financer des projets visant à affaiblir des ennemis-héréditaires comme l’Iran ou Israël ou à promouvoir l’islam(isme) à travers le monde. Du fait de ses connexions avec des imams ayant des ramifications avec des milieux caritatifs du Golfe, Tikpi Atchadam avait l’opportunité de quêter un soutien financier pour contrecarrer les plans du pouvoir de Lomé. L’a-t-il fait ? Impossible de trancher. Le gouvernement en est convaincu. Problème : il est loin d’avoir apporté le début d’une seule preuve.

De l’usage du terrorisme en politique

Le terme terrorisme politique relève du truisme. Le terrorisme est toujours politique, même si l’inverse n’est que contingent. Le terrorisme désigne un mode de recourt à la violence totale dans un double objectif : soit de produire un impact idéologique ou soit déstabiliser psychologiquement l’adversaire. L’attentat aveugle, qui est l’un des modes opératoires les plus caractéristiques de cette forme de violence, frappe au hasard pour insinuer la psychose et exacerber le sentiment d’insécurité des civiles voire d’impuissance des acteurs étatiques. Autre marqueur signifiant, les terroristes pratiquent l’indiscrimination entre les théâtres de guerre et de paix, ainsi qu’entre des cibles militaires et les populations civiles déniant à celles-ci tout sentiment de neutralité ou d’innocence.
Malgré son rapport ambigu à la violence et ses proclamations sujettes à caution de mener un combat non violent, Tikpi Atchadam ne coche pour le moment aucune des cases susmentionnées. Les accusations portées contre lui relèvent d’un procédé d’hyperbolisation sémantique de la part d’un pouvoir qui chasse des fantômes au lieu de répondre aux vraies préoccupations des populations togolaises. Ce constat ne vaut pas amnistie pour les violences contre les forces de l’ordre en aout 2017 ni contre la vandalisation les biens privés et le meurtre de deux militaires dans ces circonstances troubles à Sokodé en octobre. Les détails au compte-goutte que livre le gouvernement sur les circonstances de ces drames ne peuvent en aucun cas servir de prétexte au déni de ceux-ci, mais à l’ouverture d’une enquête indépendante pour situer les responsabilités. L’instrumentalisation obscène de ces deux morts et le flou volontairement entretenu par le régime togolais sert à instruire à charge une accusation de terrorisme contre les partisans d’Atchadam à Sokodé. Le danger d’une telle stratégie c’est qu’elle risque de fonctionner comme une prophétie autoréalisatrice.

Historiquement, les populations musulmanes du Nord du Togo pratiquent un islam traditionnel africanisé qui mixe coutumes locales et préceptes religieux sunnites. Cet alliage syncrétique non-inflammable, sédimenté par des siècles de brassage, est aujourd’hui remis en cause par la mauvaise foi et la naïveté du gouvernement togolais. La mauvaise foi. La répression et les arrestations d’imams sur des mobiles religieux risquent de pousser les esprits fragiles à la radicalisation voire coller une cible dans le dos du pays. Naïveté. L’islam syncrétique traditionnel est en proie à une wahhabisation que le gouvernement encourage ou laisse faire par le biais de programmes de bourses de formation d’étudiants togolais financés par l’Égypte, le Soudan, l’Arabie saoudite voire l’Iran. Le danger de l’islamisme est porté par ces imams formés à un islam fondamentaliste dans les universités de Médine et d’Al azhar avec l’onction du gouvernement togolais. Pour ces fondamentalistes formés à la pure doctrine du wahhabisme, Tikpi Atchadam et ses imams font figure d’hérétiques du fait de leur penchants mystiques pas très orthodoxes. Les imams wahhabisés, parfois titulaires d’un master en charia ou d’une licence en théologie islamique, sont plus à craindre qu’une poignée d’imams politisés, parce qu’ils mènent une guerre théologique qui souvent précède l’insurrection djihadiste armée. Malheureusement comme le dit l’adage « quand le sage montre la lune, le sot regarde de doigt ».

 

Radjoul MOUHAMADOU 

Togo: une délégation de la coalition de l’opposition à Conakry et Accra lundi et mardi

Jean-Pierre Fabre, Tikpi Atchadam, Brigitte Kafui Adjamagbo Johnson, Paul Dodji Apevon et Aimé Tchabouré Gogué, ils sont cinq responsables de la C14 à être reçus lundi 15 janvier à Conakry par Alpha Condé. Au menu, la situation politique actuelle au Togo, avec en toile de fond la question du dialogue. Dans une récente rencontre à Paris, le président guinéen avait déjà donné son avis sur la question. Pour Alpha Condé qui avait œuvré à la libération des imams arrêtés à Sokodé et Bafilo, l’opposition togolaise devait suspendre ses manifestations pour donner une chance au dialogue. Va-t-il garder la même position face aux 5 délégués de la coalition ? Rien n’est moins sûr !

Mardi, la délégation devra ensuite se rendre à Accra où elle rencontrera Nana Akufo-Ado très imbibé de l’actualité politique togolaise et fortement impliqué dans la résolution de la crise actuelle.

Le dernier sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (Cedeao) a donné son onction à la médiation ghanéenne appuyée désormais par celle du Bénin et du Burkina-Faso.

De sources bien introduites, lors d’une rencontre vendredi à Lomé, la société civile togolaise aurait exhorté la coalition à« faire preuve de souplesse devant les médiateurs ». Alors Jean-Pierre et sa suite accepteront-ils de surseoir aux manifestations pour entrer en négociation avec le pouvoir de Lomé, si les deux chefs d’Etat leur font à nouveau la demande? Les choses ne seront pas aussi faciles.

Une autre source confie à la rédaction de Courrier d’Afrique que le gouvernement togolais pourrait faire une « grande annonce » en début de semaine. S’agira-t-il du dialogue ou du chronogramme du référendum ? En se référant au message du chef de l’Etat, Faure Gnassingbé, du 3 janvier, rien ne devrait surprendre.

Tikpi Atchadam, un opposant trop précautionneux ou paranoïaque ?

Ils s’économisent de toute critique publique entre petits camarades et préfèrent réserver leurs coups à l’adversaire. Esprit d’équipe. Profitant de cet accord de non-agression mutuelle et au grand dam des autres membres de la coalition, Tipki Atchadam se fait rare sur le pavé préférant s’adresser directement au peuple par des messages audio personnalisés, sans égard parfois pour la discipline de coalition. À titre d’exemple, l’énigmatique opération « dos à la mer », lancée tambour battant par le leader du PNP sur les réseaux sociaux, n’a pas été reprise par les autres responsables de la coalition, révélant au grand jour les limites de cette stratégie du cavalier seul en connexion directe avec le peuple en révolte. Motif invoqué pour justifier ce basculement dans la clandestinité ? Menace de mort ou d’arrestation contre le leader de la contestation du 19 août 2017 qui se vit de plus en plus comme un homme providentiel voire un prophète. Une chose est sûre, cette attitude exaspère ses partenaires de la coalition, dont certains, comme Francis Pédro Amuzun et Edem Atantsi de l’ANC, qui ne se gênent pas pour casser du sucre dans le dos du « général absent », de l’« exilé volontaire » d’un parti qui n’a jamais affronté l’épreuve de feu du suffrage universel. L’exil de Tikpi Atchadam est-il volontaire ou de complaisance ? Faut-il le considérer comme un persécuté ou un déserteur ? La question bouillonne sous les marmites de la coalition qui se refuse pour le moment à se déchirer en public.

En contre-pied de la conspiration du silence qui règne dans une certaine presse, de rares observateurs osent braver la mise au pas des esprits et rompre avec l’occultation des questions vénéneuses. Ces questions brûlantes peuvent être résumées à trois. Que penser de la désertion du front des marches par le chef des « guerriers de Tchaoudjo » ? À quoi répond le cache-cache politique auquel Tikpi Atchadam se livre depuis plusieurs semaines? Est-il réellement menacé ou feint-il d’être persécuté dans une visée stratégique et politicienne ? Réponses ou tentatives de réponses.

Délire de persécution

L’argument a été subrepticement suggéré au détour d’un portrait publié sur LeMonde.fr le 29 septembre 2017 par Christophe Châtelot, un des envoyés spéciaux du journal français à Lomé, aux temps forts de la contestation. Dans l’article, il brosse l’image d’un « révolutionnaire aux abois », conscient que le Togo n’est plus une dictature «sanglante», mais qui prend des « faux airs de bête traquée ». Ainsi, quand Atchadam reçoit le journaliste français dans sa villa d’Agoè, ce dernier est frappé par l’excès de mise en scène de sa sécurité et le « garde du corps taillé dans le roc (qui) surveille l’entrée, une radio Motorola à la ceinture ». Alors même qu’il tentait de persuader son interlocuteur que le pouvoir était en train de monter un hypothétique « dossier » contre lui, son portraitiste conclut qu’il faisait montre d’une « petite paranoïa », d’un « excès de prudence » ou d’un astucieux « calcul politique ».

Point n’est question de nier que l’histoire politique togolaise ait été jalonnée d’assassinats politiques, dont les plus notoires furent ceux de Tavio Amorin, Marc Atidépé, Djobo Boukari etc. Néanmoins, force est de constater que les temps ont changé. Depuis l’avènement de Faure Gnassingbé pouvoir au en 2005, le régime n’a plus recours à l’élimination physique des adversaires politiques. Malgré les soupçons, preuve n’a pas été formellement établie de l’implication des sbires de Lomé II dans la mort de l’historien et homme politique togolais Atsutsè Kokouvi Agbobli, retrouvé mort le 15 août 2008 sur une plage de Lomé. Outre l’énigme Agbobli, le 26 décembre 2017, des accusations de tentatives d’assassinats ont été professées par les leaders de l’ANC contre le ministre Yark et Faure Gnassingbé lui-même. Une plainte a été déposée en ce sens par le parti de Jean Pierre Fabre devant la justice. Atsutsè Kokouvi Agbobli représentait-il une menace réelle pour le pouvoir de Faure Gnassingbé? Quid d’Éric Dupuy? Au point de vouloir les éliminer physiquement?

Quant au risque de finir dans les geôles du pouvoir, l’affaire de l’incendie des marchés a prouvé qu’on pouvait avoir une affaire aux basques sans être entravé politiquement. L’inculpation des leaders de la Coalition Sauvons le Togo (CST) en 2013 n’a pas empêché Agbéyomé Kodjo ou Jean-Pierre Fabre de poursuivre leurs carrières politiques. Le premier a échoué à se faire réélire député au Parlement en juillet 2013 ; contrairement au second, élu député et battu à la présidentielle de 2015.

Alors Tikpi Atchadam est-il trop prudent ou risque-t-il vraiment sa vie ou sa liberté ? En l’état actuel, s’il est persuadé que sa vie est réellement menacée, cela relève d’un délire paranoïde surexagérant le risque encouru par sa personne. Étant donné qu’il reconnait lui-même que la « nature » du régime de Faure n’a d’Eyadema que le patronyme Gnassingbé. On peut donc risquer l’hypothèse d’une instrumentalisation de la menace pour faire monter sa popularité et se disculper en cas d’échec de la contestation. Une manière très habile de participer à la contestation par procuration, et qui, de façon diablement machiavélique tirerait le drap de son côté en cas de succès et rejetterait la faute sur ses camarades en cas d’échec.

Invisibilisation et starisation

La politique, c’est un art du spectacle. On parle de « scène politique » ou des « acteurs politiques » rivalisant d’ingéniosité pour se faire aduler des masses. On aimerait croire que la politique est un métier sérieux dont les professionnels privilégient le fond au détriment de la forme, malheureusement les arguments importent souvent peu face au pouvoir de la mise en scène. Il ne suffit pas d’avoir une bonne idée pour convaincre ; il faut savoir la vendre au public cible. Tous les moyens sont bons pour séduire un électorat. Et pour se faire, les acteurs politiques recourent à toutes sortes d’artifices.

L’invisibilisation de Tikpi Atchadam participe plus de son jeu d’acteur politique studio qu’il travaille dans le huis clos de son bunker que de la perception d’une hypothétique menace sur sa vie et sa liberté. Elle participe d’une stratégie politique bien pensée qui consiste à se faire passer pour l’adversaire numéro un du pouvoir actuel. Un opposant plus qu’opposant. Tant pis si Faure Gnassingbé ne voit en lui qu’un extrémiste tribaliste et une cinquième colonne djihadiste à la solde des pétromonarchies du Golfe.

Paradoxalement, la mayonnaise Atchadam prend au détriment de la soupe de l’omniprésent et inépuisable marcheur de fond, Jean Pierre Fabre. L’invisibilité de l’alter ego du chef ne tenant plus qu’à un fil de l’opposition, en cultivant la rareté dans ses apparitions auprès des foules, alimente les fantasmes et exerce une emprise forte sur celles-ci. Loin des yeux, proche du cœur, dit l’adage. Le marché de dupes qui lie les deux hommes est en train de se retourner contre Jean Pierre Fabre qui risque de se faire siphonner son électorat séduit par l’opération de charme de cette star politique montante.
Il faut ajouter que ce manège est décuplé par la bienveillance apparente des médias nationaux comme internationaux qui ne cessent de multiplier des portraits élogieux, des interviews exclusives et de relayer les éléments de langage d’Atchadam depuis son trou. Sans coup férir, Tikpi Atchadam peut ainsi faire courir le bruit qu’il vit caché à Lomé, qu’il est traqué, écouté et menacé de mort, sans susciter la moindre objection dans la presse. Sauf s’il s’est doté d’un téléphone satellitaire non traçable par les services de renseignements togolais, on a du mal à comprendre pourquoi sa cavale dure toujours, étant donné les interviews téléphoniques qu’il multiplie depuis sa cachette. Vraisemblablement, il n’est pas en prison parce que le pouvoir n’a rien à lui reprocher et que personne ne lui court après.

Autre fait étrange aux yeux des observateurs lucides, c’est quand il sort de sa cachette pour franchir les frontières et se rendre en Guinée ou en France sans se faire arraisonner aux frontières et s’en retourne se terrer dans sa tanière. Avouons que cette liberté de mouvement pour le « Most Wanted» politique de la décennie au Togo est très troublante.

Contradictoirement, une arrestation de Tikpi Atchadam pourrait donner un coup de pouce décisif à la contestation et envenimer la situation. Elle provoquerait une secousse dix fois supérieure à celle provoquée par l’arrestation de l’imam de Sokodé. Par exemple, toutes répressions et censures des foules en colère tombant, elles n’hésiteraient pas à fondre sur Lomé II. C’est peut-être cela le « point critique » que le leader du PNP escompte depuis septembre 2017 pour renverser le pouvoir de Faure Gnassingbé. Alors un peu de courage, cher Tikpi Atchadam ! Un peu de don de soi et la lutte sera conclue. Les martyrs tombés depuis le 19 août 2017 valent bien ce petit sacrifice. Comme l’écrivit le philosophe dissident tchèque Jan Patocka, alors sous le joug soviétique : « une vie qui n’est pas disposée à se sacrifier à son sens ne mérite pas d’être vécue ». L’héroïsme révolutionnaire a un prix.

Radjoul MOUHAMADOU

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’opposition togolaise à la croisée des chemins

L’opposition togolaise est bien seule au monde. Depuis le début de la crise politique actuelle, elle n’a obtenu aucun soutien extérieur franc. Alors qu’elle appelait jeudi les chefs d’État de la CEDEAO à “mettre fin à la situation politique actuelle, le 52eme sommet de la CEDEAO a plutôt apporté son soutien au gouvernement et renvoyé l’opposition au dialogue. Il n’y a donc rien à attendre de cette institution. À la veille de ce sommet, Djimon Oré, le président du Front des Patriotes pour la Démocratie (FPD) mettait en garde. “Ces présidents ne viendront pas dire à Faure Gnassingbé de quitter le pouvoir parce qu’une partie de l’opposition togolaise le leur a demandé“, avait-il déclaré sur une radio de la place.

Pendant ce temps, tout semble indiquer que Faure Gnassingbé est loin d’être hors-jeu. Car hormis quelques déclarations de principes et communiqués laconiques, aucun partenaire extérieur du Togo n’a délivré de carton rouge au locataire du Palais de la Marina. L’interview accordée à Jeune Afrique est la preuve qu’il essaie de pousser son avantage. Il peut compter sur la complaisance du monde extérieur. Déjà Emmanuel Macron lui a donné un blanc-seing pour 2020 et la Cedeao s’échine à dégonfler la contestation. L’opposition, qui voudrait faire jouer la jurisprudence Jammeh, est à court de soutiens et de stratégies. Dialoguera ou ne dialoguera pas? À quelles conditions ? Aux siennes ou à celles que tentent de lui imposer la Primature ? L’opposition semble avoir perdu la main, au profit de Faure Gnassingbé qui ne cesse de se renforcer. Il est toujours en piste et se renforce au détriment d’une opposition qui se trouve actuellement dans un navire qui tangue, et qui est à recherche d’une bouée de sauvetage.

Démission ou limitation des mandats ? Révolution ou élections ? L’opposition est réduite à ne reposer que sur le hasard, Dieu ou un coup de folie (fondre sur la Présidence: un risque qu’il ne faut pas oser prendre).

Des États-Unis à la France en passant par l’OIF ou la CEDEAO, personne ne semble cautionner l’aventurisme révolutionnaire ou la démocratie au bazooka. Le contexte géopolitique a changé. Le messianisme démocratique américain a cédé le berceau à la préférence nationale de Donald Trump. La Françafrique lie les mains de la France qui ne veut pas paraître néo-impérialiste.

Face à cette situation, deux alternatives s’offrent à l’opposition : la coalition des 14 ne peut reposer que sur la rue ou miser sur un hypothétique effondrement du régime sur lui-même. La deuxième hypothèse paraît davantage plausible et commande donc que d’ores et déjà, des stratégies de conquête du pouvoir par les urnes commencent à se mettre en place.

En ce sens, Fabre semble plus réaliste. “[…] Je crois que, comme d’habitude, la France va se réfugier derrière la position des organisations sous régionales comme la CEDEAO, l’Uemoa Elle ne veut pas s’exposer plus en avant. N’oublions pas que la politique étrangère de la France vise la défense de ses intérêts. Nos intérêts peuvent être divergents avec les siens. Nous ne devons par conséquent compter que sur nos propres forces. Tout attendre des populations. Et ne rien attendre des autres“, a-t-il confié dans une récente interview au journal La Croix.