Tikpi Atchadam, un opposant trop précautionneux ou paranoïaque ?

janvier 12, 2018 :

Par ces temps d’union sacrée de l’opposition, les questions qui fâchent, subissent un enterrement de première classe par la coalition des quatorze (C14) qui accumule frénétiquement des couches épaisses de poussière sous le tapis. Par peur de ne pas menacer l’« unicité d’action » affichée, se défend-on. Il faut promouvoir ce qui rassemble contre ce qui divise, etc. Au nom de cette pensée magique, les leaders pratiquent une rhétorique de noyade systématique du poisson qui consiste à faire avaler des couleuvres à l’opinion.

Ils s’économisent de toute critique publique entre petits camarades et préfèrent réserver leurs coups à l’adversaire. Esprit d’équipe. Profitant de cet accord de non-agression mutuelle et au grand dam des autres membres de la coalition, Tipki Atchadam se fait rare sur le pavé préférant s’adresser directement au peuple par des messages audio personnalisés, sans égard parfois pour la discipline de coalition. À titre d’exemple, l’énigmatique opération « dos à la mer », lancée tambour battant par le leader du PNP sur les réseaux sociaux, n’a pas été reprise par les autres responsables de la coalition, révélant au grand jour les limites de cette stratégie du cavalier seul en connexion directe avec le peuple en révolte. Motif invoqué pour justifier ce basculement dans la clandestinité ? Menace de mort ou d’arrestation contre le leader de la contestation du 19 août 2017 qui se vit de plus en plus comme un homme providentiel voire un prophète. Une chose est sûre, cette attitude exaspère ses partenaires de la coalition, dont certains, comme Francis Pédro Amuzun et Edem Atantsi de l’ANC, qui ne se gênent pas pour casser du sucre dans le dos du « général absent », de l’« exilé volontaire » d’un parti qui n’a jamais affronté l’épreuve de feu du suffrage universel. L’exil de Tikpi Atchadam est-il volontaire ou de complaisance ? Faut-il le considérer comme un persécuté ou un déserteur ? La question bouillonne sous les marmites de la coalition qui se refuse pour le moment à se déchirer en public.

En contre-pied de la conspiration du silence qui règne dans une certaine presse, de rares observateurs osent braver la mise au pas des esprits et rompre avec l’occultation des questions vénéneuses. Ces questions brûlantes peuvent être résumées à trois. Que penser de la désertion du front des marches par le chef des « guerriers de Tchaoudjo » ? À quoi répond le cache-cache politique auquel Tikpi Atchadam se livre depuis plusieurs semaines? Est-il réellement menacé ou feint-il d’être persécuté dans une visée stratégique et politicienne ? Réponses ou tentatives de réponses.

Délire de persécution

L’argument a été subrepticement suggéré au détour d’un portrait publié sur LeMonde.fr le 29 septembre 2017 par Christophe Châtelot, un des envoyés spéciaux du journal français à Lomé, aux temps forts de la contestation. Dans l’article, il brosse l’image d’un « révolutionnaire aux abois », conscient que le Togo n’est plus une dictature «sanglante», mais qui prend des « faux airs de bête traquée ». Ainsi, quand Atchadam reçoit le journaliste français dans sa villa d’Agoè, ce dernier est frappé par l’excès de mise en scène de sa sécurité et le « garde du corps taillé dans le roc (qui) surveille l’entrée, une radio Motorola à la ceinture ». Alors même qu’il tentait de persuader son interlocuteur que le pouvoir était en train de monter un hypothétique « dossier » contre lui, son portraitiste conclut qu’il faisait montre d’une « petite paranoïa », d’un « excès de prudence » ou d’un astucieux « calcul politique ».

Point n’est question de nier que l’histoire politique togolaise ait été jalonnée d’assassinats politiques, dont les plus notoires furent ceux de Tavio Amorin, Marc Atidépé, Djobo Boukari etc. Néanmoins, force est de constater que les temps ont changé. Depuis l’avènement de Faure Gnassingbé pouvoir au en 2005, le régime n’a plus recours à l’élimination physique des adversaires politiques. Malgré les soupçons, preuve n’a pas été formellement établie de l’implication des sbires de Lomé II dans la mort de l’historien et homme politique togolais Atsutsè Kokouvi Agbobli, retrouvé mort le 15 août 2008 sur une plage de Lomé. Outre l’énigme Agbobli, le 26 décembre 2017, des accusations de tentatives d’assassinats ont été professées par les leaders de l’ANC contre le ministre Yark et Faure Gnassingbé lui-même. Une plainte a été déposée en ce sens par le parti de Jean Pierre Fabre devant la justice. Atsutsè Kokouvi Agbobli représentait-il une menace réelle pour le pouvoir de Faure Gnassingbé? Quid d’Éric Dupuy? Au point de vouloir les éliminer physiquement?

Quant au risque de finir dans les geôles du pouvoir, l’affaire de l’incendie des marchés a prouvé qu’on pouvait avoir une affaire aux basques sans être entravé politiquement. L’inculpation des leaders de la Coalition Sauvons le Togo (CST) en 2013 n’a pas empêché Agbéyomé Kodjo ou Jean-Pierre Fabre de poursuivre leurs carrières politiques. Le premier a échoué à se faire réélire député au Parlement en juillet 2013 ; contrairement au second, élu député et battu à la présidentielle de 2015.

Alors Tikpi Atchadam est-il trop prudent ou risque-t-il vraiment sa vie ou sa liberté ? En l’état actuel, s’il est persuadé que sa vie est réellement menacée, cela relève d’un délire paranoïde surexagérant le risque encouru par sa personne. Étant donné qu’il reconnait lui-même que la « nature » du régime de Faure n’a d’Eyadema que le patronyme Gnassingbé. On peut donc risquer l’hypothèse d’une instrumentalisation de la menace pour faire monter sa popularité et se disculper en cas d’échec de la contestation. Une manière très habile de participer à la contestation par procuration, et qui, de façon diablement machiavélique tirerait le drap de son côté en cas de succès et rejetterait la faute sur ses camarades en cas d’échec.

Invisibilisation et starisation

La politique, c’est un art du spectacle. On parle de « scène politique » ou des « acteurs politiques » rivalisant d’ingéniosité pour se faire aduler des masses. On aimerait croire que la politique est un métier sérieux dont les professionnels privilégient le fond au détriment de la forme, malheureusement les arguments importent souvent peu face au pouvoir de la mise en scène. Il ne suffit pas d’avoir une bonne idée pour convaincre ; il faut savoir la vendre au public cible. Tous les moyens sont bons pour séduire un électorat. Et pour se faire, les acteurs politiques recourent à toutes sortes d’artifices.

L’invisibilisation de Tikpi Atchadam participe plus de son jeu d’acteur politique studio qu’il travaille dans le huis clos de son bunker que de la perception d’une hypothétique menace sur sa vie et sa liberté. Elle participe d’une stratégie politique bien pensée qui consiste à se faire passer pour l’adversaire numéro un du pouvoir actuel. Un opposant plus qu’opposant. Tant pis si Faure Gnassingbé ne voit en lui qu’un extrémiste tribaliste et une cinquième colonne djihadiste à la solde des pétromonarchies du Golfe.

Paradoxalement, la mayonnaise Atchadam prend au détriment de la soupe de l’omniprésent et inépuisable marcheur de fond, Jean Pierre Fabre. L’invisibilité de l’alter ego du chef ne tenant plus qu’à un fil de l’opposition, en cultivant la rareté dans ses apparitions auprès des foules, alimente les fantasmes et exerce une emprise forte sur celles-ci. Loin des yeux, proche du cœur, dit l’adage. Le marché de dupes qui lie les deux hommes est en train de se retourner contre Jean Pierre Fabre qui risque de se faire siphonner son électorat séduit par l’opération de charme de cette star politique montante.
Il faut ajouter que ce manège est décuplé par la bienveillance apparente des médias nationaux comme internationaux qui ne cessent de multiplier des portraits élogieux, des interviews exclusives et de relayer les éléments de langage d’Atchadam depuis son trou. Sans coup férir, Tikpi Atchadam peut ainsi faire courir le bruit qu’il vit caché à Lomé, qu’il est traqué, écouté et menacé de mort, sans susciter la moindre objection dans la presse. Sauf s’il s’est doté d’un téléphone satellitaire non traçable par les services de renseignements togolais, on a du mal à comprendre pourquoi sa cavale dure toujours, étant donné les interviews téléphoniques qu’il multiplie depuis sa cachette. Vraisemblablement, il n’est pas en prison parce que le pouvoir n’a rien à lui reprocher et que personne ne lui court après.

Autre fait étrange aux yeux des observateurs lucides, c’est quand il sort de sa cachette pour franchir les frontières et se rendre en Guinée ou en France sans se faire arraisonner aux frontières et s’en retourne se terrer dans sa tanière. Avouons que cette liberté de mouvement pour le « Most Wanted» politique de la décennie au Togo est très troublante.

Contradictoirement, une arrestation de Tikpi Atchadam pourrait donner un coup de pouce décisif à la contestation et envenimer la situation. Elle provoquerait une secousse dix fois supérieure à celle provoquée par l’arrestation de l’imam de Sokodé. Par exemple, toutes répressions et censures des foules en colère tombant, elles n’hésiteraient pas à fondre sur Lomé II. C’est peut-être cela le « point critique » que le leader du PNP escompte depuis septembre 2017 pour renverser le pouvoir de Faure Gnassingbé. Alors un peu de courage, cher Tikpi Atchadam ! Un peu de don de soi et la lutte sera conclue. Les martyrs tombés depuis le 19 août 2017 valent bien ce petit sacrifice. Comme l’écrivit le philosophe dissident tchèque Jan Patocka, alors sous le joug soviétique : « une vie qui n’est pas disposée à se sacrifier à son sens ne mérite pas d’être vécue ». L’héroïsme révolutionnaire a un prix.

Radjoul MOUHAMADOU

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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