Courrier d’Afrique: Le dernier sommet extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao n’a fait que des recommandations à minima sur le dossier togolais. Le cri de cœur de la coalition des 14 n’a pas été entendu?
Me Mouhamed Tchassona Traoré: Cher ami, la communauté internationale est constituée sur la base du droit et des principes. Elle a sa charte qui fonde son mode d’action. Il est vrai, le cas togolais ne peut laisser personne indifférent. La première analyse : effectivement nous (la coalition des 14, ndlr) avons lancé un appel à la Cedeao pour lui demander de se pencher sur le dossier togolais. A mon avis, si notre demande n’apparaît pas dans la déclaration finale, il n’est pas exclu qu’il soit pas évoqué dans les débats. Ceci peut s’expliquer et aussi s’analyser au regard de l’ordre du jour du Sommet qui était peut-être déjà arrêté et connu de tous avant la tenue de ce sommet.
Deuxième chose, les partenaires de ces institutions internationales, ce sont les gouvernements. Donc c’est le gouvernement togolais qui est partenaire de la Cedeao. Qui plus est, c’est le président togolais qui est le président en exercice de cette institution. Vous comprendrez que, s’ils ont un ordre du jour déjà arrêté, et surtout que nous (opposition, ndlr) ne sommes pas représentés, (je ne sais même pas de quelle manière nous aurions pu être être invités), ils n’aient pu discuter que sur les seuls faits et rapports qu’ils ont recueillis des différentes missions des partenaires qui se sont intéressés à la crise togolaise et du Gouvernement Togolais .
Quant à la déclaration qui en est issue sur le Togo, ce serait trop hasardeux de croire que c’est un camouflet pour l’opposition togolaise ou un appui au gouvernement togolais. Bien sûr qu’ils nous invitent au dialogue; ça, c’est déjà connu de tous. Ils parlent d’un dialogue inclusif pour qu’on puisse débattre de toutes les questions pour aller vers des réformes politiques et institutionnelles dans l’intérêt supérieur notre pays , pour que la crise puisse être derrière nous.
Il faut également remarquer qu’à la lecture du communiqué final de la Cedeao, il ressort qu’un certain nombre de chefs d’Etat ont été mandatés pour suivre l’évolution du dossier togolais. A l’analyse, la mise en place de cette commission de chefs d’Etat nous écarte de toute médiation ou facilitation directes , nous renvoyant de facto, nous Togolais, vers une solution interne, c’est-à-dire, que prenions en main notre propre destin. C’est à ce niveau que nous devons tous faire preuve d’audace, une audace intelligente qui transcende les clivages, les barrières pour prendre en compte un élément essentiel qu’est l’amour de notre patrie, pour allers à une solution négociée afin de sortir notre pays de la situation actuelle.
Pour vous, c’est quoi prendre en main son propre destin? Bref, qu’entendez-vous par solution négociée?
La Cedeao a montré la voie. Pour elle, la seule et unique voie de sortie de crise, c’est le dialogue. Et quand elle parle de dialogue inclusif, c’est que tous les acteurs se mettent autour d’une table pour discuter.
Permettez-moi de vous interrompre, Me Tchassona. Quand vous parlez de tous les acteurs, vous parlez de qui? La coalition, dont votre parti est membre, n’envisage un possible dialogue qu’entre elle et le parti au pouvoir.
Vous savez, la Cedeao propose que les débats doivent être ouverts à tous ceux qui peuvent contribuer à la résolution de cette crise. Quelle est la finalité du dialogue? Ce sont les réformes. Notre base de revendications reste l’Accord politique global qui préconisait qu’il faut un consensus pour aller à ces réformes-là. Qu’il ne vous échappe pas qu’il y a des mécanismes pour faire les réformes: la phase parlementaire ou celle référendaire. Si les conclusions du dialogue doivent passer par l’Assemblée nationale, cela suppose que les partis parlementaires puissent d’abord s’accorder sur le contenu du texte. Or dans le schéma actuel, il y a par exemple l’Union des forces de Changement (UFC) qui n’est pas membre de la coalition. Pour rechercher un large consensus à l’Assemblee Nationale pour l’adoption de la réforme, nous ne pourrons écarter la contribution de l’UFC. Même si un parti parlementaire non membre de la coalition n’a qu’un seul député, nous avons besoin de cette voix pour y arriver. C’est pour cela que je parlais plus haut de la nécessité d’ avoir de l’audace. Nous devons avoir l’audace pour comprendre que le seul intérêt qui vaille, c’est celui du Togo.
Aujourd’hui, le débat se cristallise autour des acteurs du dialogue. Mais le pouvoir, lui, semble prêt à aller à ce dialogue, surtout après ce qu’on peut appeler le blanc-seing de la Cedeao.
Ma crainte, c’est que le gouvernement poursuive le processus du dialogue au cas où il ne s’entendrait toujours pas avec notre coalition, et qu’il aille discuter du projet de loi avec d’autres acteurs, pour soumettre le projet de réforme à la majorité mécanique qu’il a à l’Assemblé nationale puis au référendum. Ce qui conduirait au pourrissement de la situation. La conséquence prévisible pour la coalition pourrait conduire à une montée en puissance par la coalition, dans ses revendications. Mais au final, qu’est-ce que cela peut apporter si ce n’est que nous créer beaucoup de difficultés sur le calendrier électoral, puisque 2018 est une année électorale avec les législatives et certainement les locales. C’est là où j’ai beaucoup de craintes pour mon pays, car la crise pourrait s’aggraver.
Me Tchassona, à vous entendre parler, on a l’impression que que votre voix est dissonante de celle de la coalition!
Je puis vous rassurer d’une chose, la coalition est composée de gens responsables portés par des convictions fortes pour ce pays et nous savons faire la part des choses. Je tiens à vous dire que je n’ai pas de crainte en cas d’ouverture du dialogue à d’autres acteurs. La coalition pèsera de tout son poids dans l’argumentation et la pertinence de nos revendications dont la légitimité est partagée par l’immense majorité de nos populations, puissent aboutir. Pourquoi? D’abord nous avons eu l’expérience des travaux lors de l’atelier du HCRRUN, les partis supposés proches du pouvoir n’ont pas hésité à se ranger et défendre les revendications légitimes, pertinentes portées par les partis d’opposition lors de cet atelier et il faut ajouter que les revendications ont l’adhésion de la plupart de nos compatriotes. Ce n’est pas parce qu’on aura ouvert le dialogue à d’autres formations politiques que ça changerait grand-chose à la pertinence et à la légitimité de nos revendications. Donc quelle que soit la configuration du dialogue, la coalition gardera toujours ses bonnes ressources pour faire avancer dans le bon sens les discussions pour que les réformes qui seront faites répondent aux attentes des populations.
Le départ de Faure Gnassingbé fera-t-il aussi partie de votre plateforme revendicative lors de ce dialogue?
Je pense que quand on aborde une phase conduisant au dialogue dans la crise comme la nôtre, il faut bien se garder d’évoquer des sujets qui peuvent être préjudiciables pour la bonne suite des événements. C’est pour cela que je m’abstiens de me prononcer pour le moment sur cette question. Ce qui est important, c’est que quand on parle de dialogue inclusif, il s’entend non seulement des acteurs, mais également de tous les sujets qui peuvent être débattus. Même s’il y a une telle exigence, rien n’empêche qu’elle puisse être discutée au cours du dialogue. Le contenu du dialogue, s’il faut en parler maintenant, ce ne sera que pure spéculation. Il s’agit d’un dialogue inclusif à double titre, tant au niveau des acteurs que s’agissant des sujets à aborder. Donc le moment venu, quand le dialogue se mettra en place, aucun sujet ne sera tabou.
La revendication relative à la démission de Faure Gnassingbé, élu pour un mandat qui finit en 2020, ne rend-elle pas l’opposition inaudible auprès de la communauté internationale?
Vous savez, nous sommes en politique. A l’opposé des exigences de l’opposition, le pouvoir aussi a exprimé une posture maximaliste. Le président de la république, dans son interview à Jeune Afrique, a déclaré que sa non candidature en 2020 n’est pas encore un sujet de préoccupation . C’est aussi là une posture maximaliste. Nous sommes dans un débat politique où chacun veut tirer le maximum de son côté. Il faut le comprendre ainsi.
Parlant justement de cette interview, pensez-vous que la candidature ou non du chef de l’Etat actuel en 2020 est un sujet prioritaire?
Nonobstant ce que j’ai dit plus haut, en affirmant qu’aucun sujet ne sera tabou au cours du dialogue, il me semble que nous passons à côté d’autres éléments essentiels qui doivent être convoqués dans notre démarche vers l’alternance au sommet de l’Etat. Je parle notamment du changement de mentalités des Togolais à transcender tous les clivages régionalistes, ethniques et religieux. Je pense à la nécessité de peser lors du Dialogue aux modifications institutionnelles pour se doter d’un cadre et processus électoraux fiables et transparents, Je pense à l’éveil de la conscience citoyenne chez tous les Togolais de l’intérieur et de l’extérieur à prendre toute la mesure du droit de vote qui devrait sonner au Togo plus qu’une simple faculté mais qu’une impérieuse obligation, afin d’ aller s’inscrire sur les listes électorales, à ne plus céder au son de cloche tendant à faire croire que les élections ne servent à rien dans notre pays, sous prétexte que les dés seraient pipés d’avance. Plus les Togolais iront s’inscrire massivement sur les listes électorales et s’acquitteront de d’aller voter massivement, plus grandes seront les chances d’une alternance pacifique au Togo. Si nous arrivons, au cours de ce dialogue, à obtenir les conditions d’organisation d’une élection transparente, l’alternance est possible même si le chef de l’Etat actuel, par extraordinaire, se représente en 2020. Voilà des choses auxquelles nous devons réfléchir, auxquelles la presse doit sérieusement réfléchir pour faire comprendre à nos compatriotes qu’ils doivent déjà se mettre en ordre de bataille pour les élections à venir. Le peuple doit comprendre qu’il est l’arbitre du jeu électoral, et cela se passe lors des élections.
En clair, à côté des manifestions de rue, il faut déjà commencer à mettre en place des stratégies de conquête du pouvoir par les urnes, c’est ça?
Bien sûr, nos partis politiques travaillent à cet effet, mais nous avons une difficulté. Vous savez, les réformes sont d’ordre constitutionnel et institutionnel. Dans le deuxième volet, il y a le cadre électoral et tout ce qui concerne les élections au Togo. Tout cela doit faire l’objet de débat lors du dialogue qui est annoncé de sorte que que l’ensemble des questions qui bloquent notre avancée politique puissent être réglées. Il y a également des mesures d’ordre réglementaire qui doivent être prises pour favoriser le vote de nos frères et soeurs de la diaspora, qui sont très nombreux d’ailleurs, afin qu’ils puissent enfin participer eux aussi au débat politique de leur pays.
Certains acteurs parlent de transition comme passage obligé pour une sortie de crise. Sommes-nous dans ce schéma?
Il ne faut pas s’empresser de poser les résultats du dialogue avant le début du dialogue. Seul le dialogue nous orientera utilement sur ce que sera la suite des événements. Ce pourrait être un gouvernement d’union nationale pour accompagner la mise en oeuvre des réformes. Or quand on parle de gouvernement de transition, cela suppose que toutes mes institutions sont mises en berne, en attendant qu’un arrangement politique puisse être trouvé. Qu’il nous souvienne qu’en 2006, à la suite du dialogue inter Togolais, il y a eu un gouvernement d’union nationale piloté par Me Yawovi Agboyibo, chargé de la mise en oeuvre des réformes. Malheureusement les blocages qui sont intervenus par la suite n’ont pas permis de réaliser ce cahier de charges. Si tant est que nous voulons aller à ce dialogue, avec toute la volonté qui doit caractériser l’ensemble des acteurs, nous devons faire en sorte que cette fois, ce soit le dernier des dialogues.
Une question sur un autre sujet de l’actualité nationale, le ministre de la Sécurité, Damehane Yark, considère vos manifestations comme des foires de commerce de stupéfiants.
Là, ça pose un véritable problème d’organisation de l’Etat togolais. Le ministère de la Sécurité a en charge la lutte contre ce genre de fléaux dans le pays. Nos manifestations se passent-elles hors des frontières de nos villes contrôlées par les forces de sécurité? Si le ministre pense que c’est lors de nos manifestations que se fait le commerce de ces stupéfiants, cela dénote une faiblesse dans le dispositif sécuritaire du pays. Le gouvernement ne peut pas accuser l’opposition de favoriser le commerce d’un produit dont il a pourtant mission de lutter contre la commercialisation en amont et en aval.