Crise togolaise – France, CEDEAO, pouvoir et C14 : un vrai cocktail indigeste

L’appel de la C14

«Togolaises et Togolais des villes de Mango, Bafilo, Sokodé, Lomé, Tsévié, Atakpamé et Kpalimé, Organisations de défense des droits de l’Homme, associations de presse, syndicats et associations de la société civile, travailleurs des secteurs publics et privés, revendeuses des marchés, taximen, zémidjans, étudiants, munis de drapelets togolais, une fois encore, soyons tous au rendez-vous les 13, 14, 21, 28 et 29 juillet 2018 aux lieux des meetings pour recevoir les informations appropriées au renforcement de votre détermination ».

C’est par ces mots que la Coalition des 14 partis de l’opposition togolaise a appelé mardi à la reprise de ses manifestations, pour exiger le retour à la Constitution originelle de 1992, les réformes institutionnelles, la révision du cadre électoral y compris le droit de vote des Togolais de la diaspora, la libération des manifestants arrêtés dans l’exercice de leur droit constitutionnel et la levée de l’état de siège de fait dans les villes de Mango, Bafilo, Sokodé, Tchamba, Kara et des quartiers de Lomé, l’arrêt immédiat des rafles dans les quartiers de la capitale et sur toute l’étendue du territoire et le retour des réfugiés et des déplacés.

Boukpessi et le « risque d’une crise institutionnelle »

L’appel à manifester à Sokodé, Bafilo, Tchamba et Mango, quatre villes en état de siège de fait, va-t-il être couronné de succès ? On ne connait pas pour l’heure la position du ministre en charge de l’Administration territoriale. En revanche, on sait ce que pense Payadowa Boukpessi des élections législatives. « Nous courons le risque d’une crise institutionnelle si nous n’organisons pas les élections législatives au Togo avant la fin de l’année 2018 », a déclaré le ministre samedi lors du symposium de la jeunesse organisé à Kara, en marge de la fête traditionnelle Evala.

Ces propos de Payadowa Boukpessi sonnent dans les oreilles des opposants au pouvoir de Lomé comme la « confirmation de la volonté du régime de faire un passage forcé ». « Ce n’est pas étonnant que Boukpessi dise ces choses, puisque cela va dans le fil droit de ce qu’a déjà dit la Cour Constitutionnelle d’Aboudou Assouma aux ordres du prince », a analysé un des responsables de la Coalition.

Qu’est-ce donc qu’une crise institutionnelle ? Me Zeus Atta Messan Ajavon persiste et signe : « le vide constitutionnel n’existe pas ! ». Le ministre et le professeur de Droit parlent-ils de la même chose ?

Macron, le statut quo et le Nigeria

S’exprimant récemment sur la situation politique togolaise, Emmanuel Macron a indiqué que « le statut quo n’est plus possible pour le Togo ». Un bout de phrase interprété par chaque camp selon que cela l’arrange. Pour les partisans du pouvoir, le statut quo signifie la crise actuelle née le 19 août 2017 et « alimentée par l’opposition ». Tandis que dans les rangs de l’opposition, ces propos du président français résonnent comme la « lassitude d’un chef d’Etat français de voir la même famille biologique diriger tout un pays pendant un demi-siècle ».

En tous les cas, le président français compte bien proposer un schéma de sortie de crise qui implique le Nigeria en pole position. “Le président (Muhammadu, ndlr) Buhari entre en période électorale,  et je pense que le Nigeria aura,  après cette période électorale,  un rôle important à jouer à la solution de cette crise “, avait-il déclaré ajoutant que “la France viendra en soutien de ces solutions portées par les chefs d’État africains et l’Union africaine“.

Un politologue togolais, qui a requis l’anonymat, coupe la poire en deux : « Par cette déclaration, Emmanuel Macron veut juste rappeler au Nigeria que la France a la main sur la crise togolaise. Une façon d’éteindre les déclarations tapageuses de Buhari et lui dire que le Nigeria ne peut agir dans la crise togolaise que dans le périmètre que la France aura aménagé pour les acteurs régionaux ». « Entendons-nous bien, les élections au Nigeria, c’est en 2019. Est-ce à dire que les Togolais vont devoir attendre d’ici là ? Moi je pense que la solution à la crise togolaise n’est pas extérieure. Il faut nécessairement une stratégie interne qui sera appuyée par l’extérieur », propose-t-il.

Vivement les recommandations de la CEDEAO !

Les 30 et 31 juillet, les chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao se réuniront en sommet à Lomé. Des recommandations pour une sortie de crise sont très attendues.  Là encore, pouvoir et opposition tentent de tirer  le drap chacun de son côté. A Lomé II, le discours est presque le même : « le Togo est un Etat souverain, Faure Gnassingbé est un président élu. Il n’appartient pas à ses pairs de la CEDEAO de venir le déloger ou de lui imposer de ne pas être candidat en 2020 », glose un ministre conseiller du chef de l’Etat togolais, un pilier de la vieille garde.

L’opposition, elle, ou tout du moins la Coalition, se montre sereine. Pour Brigitte Adjamagbo-Johnson, présidente de la C14, « la CEDEAO n’irait que dans le sens de la volonté du peuple ». Jean Eklou, le leader de la jeunesse de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), parti membre du regroupement des 14, met en garde contre le « tollé général » qu’il pourrait y avoir au cas où les recommandations de l’Organisation sous régionale ne seraient pas « conformes aux attentes du peuple togolais ».

C’est qui le peuple togolais ? A qui appartient le peuple ? Que veut ce peuple ?  C’est une difficile équation à résoudre pour Alpha Condé, Nana Akufo-Addo et leurs pairs de la sous-région. Mais déjà, Jean-Pierre Fabre est catégorique : « la CEDEAO ferait preuve d’une insoutenable légèreté aujourd’hui si elle proposait, encore une fois, après ce drame, que Faure Gnassingbé soit admis à se présenter pour un 4e mandat, contre la volonté de la majorité des Togolais, comme le confirme le sondage Afro-Baromètre rendu public récemment ». Bon à suivre…

Ambroise D.

 

 

 

Fabre discutera de la crise togolaise à l’Élysée et au Quai d’Orsay à la mi-juin

À en croire La Lettre du Continent paru ce mercredi 6 juin,  le président de l’Alliance nationale pour le changement (Anc) devrait rencontrer à Paris la puissante confédération de la diaspora togolaise de France qui soutient fortement,  et depuis plusieurs mois la coalition des 14 partis de l’opposition.

Jean-Pierre Fabre,  dont le parti est proche de l’Internationale Socialiste,  devrait également être reçu au Quai d’Orsay et à l’Elysée où la question togolaise sera discutée avec les autorités politiques françaises.

Après Paris,  Fabre  est attendu à Bruxelles pour y rencontrer la diaspora togolaise.  Candidat malheureux aux deux dernières élections présidentielles,  il dénonce “la recrudescence de la violence et le refus de Faure Gnassingbe de mettre en oeuvre les mesures d’apaisement pourtant préconisées par les présidents ghanéen Nana Akufo-Addoh et guinéen Alpha Condé,  facilitateurs désignés de la crise par la Cedeao.

Ambroise D.

Togo: la loi “Bodjona” décidément en souffrance sous Boukpessi

Dans un courrier adressé à la coalition des14, Payadowa Boukpessi assure avoir tenu une réunion vendredi 1er juin,  à son ministre,  avec son collègue de la Sécurité et de la Protection civile,  et Robert Olympio,  représentant la C14. Cette rencontre tripartite fait suite à un courrier envoyé au ministre par la coalition de Kafui Adjamagbo-Johnson, l’informant de l’organisation les 6, 7 et 9 juin, d’une série de manifestations à Lomé ainsi que dans d’autres villes du Togo.

“Le gouvernement déplore une fois encore la persistance de cette volonté de la coalition de violer les mesures prises par le facilitateur, en prévoyant de manifester à nouveau,  pour les questions qui sont en cours de discussion au sein du dialogue inter-togolais“, s’indigne le ministre dans sa note.

Ainsi donc,  Payadowa Boukpessi informe la coalition que “pour des raisons de trouble à l’ordre public,  les itinéraires anciennement utilisés par la coalition pour ses  marches depuis le 19 août 2017 ne sont pas acceptés”.

Selon la note,  le ministre prend d’autres mesures plus contraignantes allant jusqu’à l’interdiction des marches dans certaines localités du pays.  “Les manifestations à Sokode,  Bafilo,  Mango sont interdites”, précise le courrier qui rappelle par ailleurs que lesmanifestations sur les routes nationales sont interdites” avant de demander aux organisateurs des marches de “se mettre en rapport avec les préfets des autres villes” pour définir de nouveaux itinéraires.

Alassane Ouattara disqualifié pour régler la crise togolaise ?

“La nouvelle Constitution m’autorise à faire deux mandats à partir de 2020. Je ne prendrai ma décision définitive qu’à ce moment-là, en fonction de la situation de la Côte d’Ivoire. La stabilité et la paix passent avant tout, y compris avant mes principes”, a déclaré M. Ouattara, dans un entretien à  Jeune Afrique.

Des propos qui contrastent avec les premières déclarations du président ivoirien au lendemain de la modification de la Constitution ivoirienne en 2016, qui remettait les compteurs à zéro. À l’époque, Alassane Ouattara la possibilité d’un troisième mandat.

Simple effet d’annonce ou réelle volonté d’un président qui a fini par prendre goût aux délices du pouvoir ?  En tout cas,  ADO justifie sa nouvelle position par le souci de mettre la Côte d’Ivoire à l’abri de toute instabilité.  Mais pour certains observateurs, le président utilise la “menace” de se représenter pour faire taire les querelles internes nées de la guerre de succession qui a déjà commencé.
En même temps, le président tente de transformer en partie la coalition au pouvoir afin d’organiser une primaire pour la présidentielle de 2020.

Quoi qu’il en soit,  le chemin vers un troisième mandat d’Alassane Ouattara est jonché de plusieurs embûches.  Il faudra d’abord pour l’ancien directeur Afrique du FMI de convaincre le PDCI et son emblématique président Henri Konan Bedie pour qui l’heure du retour de l’ascenseur a enfin sonné.  Avec la réforme constitutionnelle de 2016, ADO est certain d’avoir “neutralisé” Guillaume Kigbafori Soro désormais quatrième personnalité au sommet de l’Etat.  Mais l’ancien chef des rebelles de Bouake n’a pas encore dit son dernier mot.  Même si les ennuis judiciaires peuvent à n’importe quel moment se déchaîner contre lui,  l’actuel président de l’Assemblée nationale ivoirienne reste encore un homme très écouté par les ex-rebelles reconvertis en forces loyales à  la gâchette facile pour oui ou pour un non.

De toutes les façons,  cette déclaration d’Alassane Ouattara résonne mal dans les oreilles des partisans de l’opposition togolaise. “C’est ce Alassane Ouattara qui va régler la crise politique togolaise ?  Quels conseils va-t-il donner à Faire Gnassingbe ? “, peste un militant d’un parti membre de la coalition des 14.

“Si monsieur Ouattara dont la Constitution de son pays limite les mandats présidentiels est prêt à briguer un troisième mandat,  ce n’est pas Faure qu’il dira de quitter le pouvoir alors que la Constitution ouvre un boulevard devant lui”, ironise un web-activiste de UNIR,  parti présidentiel au Togo.  De quoi faire répliquer un autre militant de l’opposition: “force à la rue”. 

 

Déterminée jusqu’au bout

Les partis membres de la Coalition des 14 (C14) sont déterminés à aller jusqu’au bout de leur lutte.  Alors que les manifestations de rue sont devenues une véritable pomme de discorde entre elle et le gouvernement,  la C14 a  trouvé le moyen de garder allumée  la flamme du combat pour l’alternance,  en attendant que les lignes bougent.

Ce dimanche,  elle organise des meetings d’information simultanément dans trois différents quartiers de Lomé.  L’annonce a été faite à travers un communiqué rendu public jeudi. Remerciant les populations togolaises pour “leur courage et détermination“, la coalition dirigée par Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson invite ses militants et sympathisants à prendre part massivement à ces rencontres,  “face au dilatoire et au refus du régime RPT/UNIR de respecter ses engagements en présence du facilitateur, notamment la mise en œuvre des mesures d’apaisement, l’arrêt des préparations unilatérales de consultations électorales ainsi que l’arrêt des persécutions , arrestations, poursuites à l’encontre des militants et dirigeants des partis politiques de l’opposition et de la société civile et aussi face la stagnation du dialogue”.

Ces meetings sont prévus à Baguida (Place publique), Avénou (Terrain CEG Avénou face Eglise Catholique), Agoè Zongo (Terrain Zongo face boutique AMI- AMI).

La coalition des 14 partis politiques compte sur la mobilisation massive et la présence de tous à ces différents points pour avoir les meilleures informations sur la situation actuelle.

Née des manifestations du 19 août 2017, la crise politique actuelle est un casse-tête pour la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui a confié sa gestion au président ghanéen, Nana Kufo -Addoh.  Mais depuis le 23 février, le dialogue intertogolais ouvert quatre jours plus tôt , sous l’égide du Ghanéen est au point mort.

 

Togo: de Zola à Madi, un « J’affirme » au ton accusatoire

J’y ai retrouvé la pugnacité et le souffle du premier des intellectuels dans cet essai d’intervention destiné à secouer le bocal politique togolais. Dans « J’affirme », visiblement inspiré de « J’accuse… ! », l’essayiste Mohamed Madi Djabakate arbore le costume de l’intellectuel engagé dans la cité. Le Zola togolais, sans l’anaphore mais non dépourvu d’emphase, met la focale sur les impasses politiques togolaises et fustige le piteux spectacle du personnel politique, tous bords confondus. L’autre parallèle avec le geste zolien, c’est le chronogramme. En cette année 2018, on commémore le cent vingtième anniversaire de la lettre ouverte d’Emile Zola au président Félix Faure, publiée le 13 janvier 1898 dans L’Aurore. Malgré la confondante homonymie entre Félix Faure et Faure Gnassingbé, « J’affirme » ne s’adresse pas qu’au chef de l’Etat togolais, dont le chiffre porte-bonheur du régime est le 13 de janvier, mais à toute « une classe politique apparemment dénuée d’empathie ». Cette dernière radioscopie du mal togolais plonge sans ménagement la plume dans la plaie, quitte à faire grincer des dents de part et d’autre.

« Je » est un « Nous »

  Le genre de l’essai politique est une forme d’écriture à risque. Il est moins exigeant intellectuellement qu’un traité ou une étude exhaustive, tout en imposant à l’auteur de fendre l’armure. Le vecteur de l’énonciation n’est pas le « nous » impersonnel, figure neutre derrière laquelle s’abritent les penseurs pour revendiquer une certaine objectivité scientifique, mais le « je » particulier de l’auteur. L’essayiste livre une subjectivité, une humeur ou opinion sur un sujet donné. Toutefois, l’expression diaphane qu’emprunte Mohamed Madi Djabakaté singularise son tour de pensée. À la première personne du singulier, un « je », peut se muer en vague, qui, par temps de marées hautes, dialogue avec elle-même, va et vient. L’écueil d’un sinueux tête-à-tête avec lui-même, l’auteur a réussi à l’éviter parce que son « je » charrie d’autres « je » dans son sillon. À force de s’ouvrir et de se nourrir des références théoriques, il a fini par acquérir l’épaisseur d’un « nous » dans lequel beaucoup s’y refléteront. Un essai politique est très rarement une explication introspective avec soi-même. Sauf à tomber dans l’autoanalyse, l’autofiction voire l’ontopsychologie ; et à considérer que l’intime est éminemment politique.

De quel « je » Madi Djabakaté est-il le prête-nom ? Quel est le « je » du sujet qui s’affirme à travers sa plume ? D’abord, le passage de « je » affirme à « J’affirme » s’opère pas l’élision de la voyelle « e » au profit d’une apostrophe. L’élision de la voyelle est la métaphore de la phagocytose d’autres voix et lectures en son sein. Ensuite, la figure de style de l’apostrophe ici est destinée à la classe politique togolaise conviée à un examen de conscience. Mohamed Madi Djabakaté, scrutateur de l’actualité et clinicien de ses tourments, est à son quatrième ouvrage sur la planche des enjeux politiques contemporains. Cependant, conscient des limites de l’exercice, il ne prend qu’à témoin ses contemporains, redoutant la malveillance et la malcompréhension de certains médiateurs, afin de mieux s’adresser à la postérité. En témoigne cet avertissement placardé au seuil du texte : « Vous avez le droit de ne pas être d’accord avec le contenu de cette réflexion. Mais souffrez que je partage cela avec la postérité ». (p. 15)

Dès l’entame du livre, l’auteur tire la sonnette d’alarme : « le principe du multipartisme réclamé en 1991 est désormais en péril. (…) Avec d’un côté un pouvoir qui fait tout pour réduire l’opposition au silence et de l’autre côté une opposition qui se trompe non seulement pas de cible mais aussi ne montre pas en réalité une différence vis-à-vis du pouvoir qu’elle combat » (p.18)

Face à ce péril menaçant, l’écriture politique prend la forme d’un exercice de plaidoirie. Une assignation à comparaître devant la société présente et à venir à laquelle Madi Djabakaté ne se dérobe pas.

« L’Etat d’adoration » dans une « démocratie en treillis ».

  Dans le fond, l’auteur part du constat d’un enlisement politique, imputable à l’échec de la classe politique dans son ensemble. L’édifice politique togolais serait métastasé par une crise de légitimité tous azimuts avec « des institutions légales sans aucune légitimité » (p.50). Et pour cause, la surdité des hommes politiques à l’intérêt collectif des Togolais. À partir de ce diagnostic, Madi Djabakaté déploie une passionnante analyse auditive des hommes politiques togolais dont il résume les maux comme suit : « (…) je suis tenté de dire qu’ils ont entendu leur base mais ne l’ont pas écouté. Au pire ils se sont écoutés » (p. 20). Etendre sans écouter ses partisans voire s’écouter au lieu d’entendre la volonté populaire. Panne de sonotone ou défaillance auditive congénitale ? Il explique ainsi l’insensibilité de Faure Gnassingbé face à l’expression bruyante du ras-le-bol populaire depuis août 2017, ainsi que les échecs de Jean-Pierre Fabre qui a écouté plus son « subconscient » que le peuple, en se présentant à l’élection présidentielle de 2015. À la surdité des politiques s’ajoute le poison de l’ethnicisation de la politique dont il tente de repérer la généalogie dans la période coloniale.  Il consacre un saisissant développement sur « la prise en otage historique de Kara et par ricochet, du Nord » (p. 100-105) et fustige la dérive du pays vers une « démocratie en treillis ». (p. 75)

 En outre, l’auteur propose l’étiquette d’ « Etat d’adoration » pour qualifier le type particulier de l’Etat togolais : « à défaut de l’Etat Providence, à défaut de l’Etat Libéral on se contente de l’Etat d’Adoration. Tous les problèmes sont remis entre les mains du Seigneur ou les mânes des ancêtres. Il en va ainsi du développement, de l’alternance et même de la santé ». (p.51). Selon cette acception, l’Etat d’adoration togolais est une république où la réalisation des promesses de campagne et les accords politiques sont suspendus aux caprices des dieux. Bref, une hypothétique République incha Allah (si Dieu le veut bien).

Par-delà la « dispute constitutionnelle »

 Sur la virulente guerre de juristes autour de la question de l’immédiateté contre la non-rétroactivité en cas de restauration des dispositions limitatives de la Constitution de 1992, Madi Djabakate choisit de ne pas prendre parti. Ce point d’équilibre impossible à trouver entre ces deux positions, Nouhou Djibo, Président National du Centre pour la Gouvernance Démocratique et la Prévention des Crises (CGDPC) et préfacier de l’ouvrage la résume en ces mots : « (…) retourner à la constitution de 1992 serait une preuve manifeste de paresse intellectuelle. Le dépassement de la version révisée de 2002 pour un alignement sur les textes de la CEDEAO serait une thèse bien fondée et probablement moins critiquée ». (p.7) La ligne de fuite pour s’extraire de l’enlisant débat entre les juristes togolais, Mohamed Madi Djabakaté la loge dans les échelons supranationaux que sont la CEDEAO et l’UA. Il observe que dans l’ordonnancement juridique du Togo, et selon l’article 140 de la constitution togolaise, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie » (p. 83).  Ensuite, l’auteur se contente de rappeler le Togo à ses engagements internationaux, notamment ceux contractés aux termes du Protocole A/SP1/12/01 sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance additionnel au Protocole Relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des Conflits, de Maintien de la Paix et de la Sécurité signé à Lomé le 10 décembre 1999; et de la Décision prise dans le cadre de l’OUA, en juillet 1999, relative à la réaction de l’OUA face aux changements anticonstitutionnels de gouvernements. Selon le paradigme moniste auquel souscrit le Togo en matière de droit international, le pays devrait normalement se conformer sur le principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux. Redoutant le pire, il fait remarquer, que le pays n’est pas à l’abri d’un nouvel accès de « fièvre rouge » qui l’a ébranlé le 19 août 2017. Au Togo, 83% des citoyens sont en faveur de la limitation des mandats présidentiels à deux, selon un sondage Afrobaromètre de 2011-2013. Le désir d’alternance, assure-t-il, est puissamment enraciné, mais le pays est pris en otage par la « volonté d’un seul », au sens d’Etienne de La Boétie.

  En ce qui concerne la pérennisation de Faure Gnassingbé au pouvoir au-delà de 2020, l’auteur relève que sa « soif présidentielle sera étanchée en 2025 sans aucune possibilité de traitement palliatif »(p. 108) Au risque de ne pas se faire écouter du chef de l’Etat togolais, il appelle Faure Gnassingbé à prendre ses responsabilités devant l’Histoire.

 « Bouées de sauvetage »

  Pour le moment, observe Madi Djabakate, la révolution sous l’impulsion de la coalition des 14 partis politiques de l’opposition est improbable, mais en cas d’échec du dialogue politique intertogolais, le champ des possibles s’élargirait à l’infini. Il signale, fort astucieusement, que le caractère pacifique des manifestations de la rue togolaise signe le désir d’un dénouement paisible de la crise. Une allusion, à peine voilée, à la tentation révolutionnaire de Tikpi Atchadam qui aimante le spectre oppositionnel vers des positions de plus en plus radicales.

  S’il fallait résumer le livre en une seule proposition, c’est celle-là qui ravirait la palme de l’originalité : « On peut sur ce point prendre juste la peine d’introduire un alinéa précisant que l’article sur la limitation du mandat à deux ne peut faire l’objet d’une révision » (p. 107) En deux mots, il faudrait en plus de se battre pour le bout de phrase polémique (« en aucun cas »), songer à verrouiller à double tour la constitution comme c’est le cas au Niger. Cela passe par l’introduction d’une clause qui consacrerait l’inviolabilité de certaines dispositions essentielles du texte fondamental qui ne doit pas être interprêtée comme une bouée de sauvetage lancée au régime contesté.

Pour finir, l’essayiste renoue avec ses vieilles amours électorales en rappelant la nécessité d’assurer la sincérité des scrutins. Une proposition, déjà prescrite dans son précédant essai, consisterait à mettre sur place une CENI technique et permanente plutôt qu’un organe politisé et ad hoc. La nécessité d’un « passage à un Organe de Gestion des Elections (OGE) technique et permanent qui ne se contentera pas seulement de jouer à l’agent de liaison de la Cour Constitutionnelle. Il faudra désormais penser à envoyer les gens dans ces structures sur la base de leurs compétences techniques et de leur probité morale avec un mécanisme de désignation transparent. Pourquoi pas des auditions publiques devant un grand jury interdisciplinaire ? » (p.108)

En somme, « J’affirme », porté par une prose cristalline, est un livre accessible et agréable à lire. Lisez-le comme un plaidoyer en faveur de l’alternance ou un témoignage pour l’Histoire. L’Histoire, ce « produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait inventé »qui enivre les peuples, selon la formule de Paul Valéry.

Radjoul MOUHAMADOU

Togo: une délégation de la coalition de l’opposition à Conakry et Accra lundi et mardi

Jean-Pierre Fabre, Tikpi Atchadam, Brigitte Kafui Adjamagbo Johnson, Paul Dodji Apevon et Aimé Tchabouré Gogué, ils sont cinq responsables de la C14 à être reçus lundi 15 janvier à Conakry par Alpha Condé. Au menu, la situation politique actuelle au Togo, avec en toile de fond la question du dialogue. Dans une récente rencontre à Paris, le président guinéen avait déjà donné son avis sur la question. Pour Alpha Condé qui avait œuvré à la libération des imams arrêtés à Sokodé et Bafilo, l’opposition togolaise devait suspendre ses manifestations pour donner une chance au dialogue. Va-t-il garder la même position face aux 5 délégués de la coalition ? Rien n’est moins sûr !

Mardi, la délégation devra ensuite se rendre à Accra où elle rencontrera Nana Akufo-Ado très imbibé de l’actualité politique togolaise et fortement impliqué dans la résolution de la crise actuelle.

Le dernier sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (Cedeao) a donné son onction à la médiation ghanéenne appuyée désormais par celle du Bénin et du Burkina-Faso.

De sources bien introduites, lors d’une rencontre vendredi à Lomé, la société civile togolaise aurait exhorté la coalition à« faire preuve de souplesse devant les médiateurs ». Alors Jean-Pierre et sa suite accepteront-ils de surseoir aux manifestations pour entrer en négociation avec le pouvoir de Lomé, si les deux chefs d’Etat leur font à nouveau la demande? Les choses ne seront pas aussi faciles.

Une autre source confie à la rédaction de Courrier d’Afrique que le gouvernement togolais pourrait faire une « grande annonce » en début de semaine. S’agira-t-il du dialogue ou du chronogramme du référendum ? En se référant au message du chef de l’Etat, Faure Gnassingbé, du 3 janvier, rien ne devrait surprendre.

L’opposition togolaise à la croisée des chemins

L’opposition togolaise est bien seule au monde. Depuis le début de la crise politique actuelle, elle n’a obtenu aucun soutien extérieur franc. Alors qu’elle appelait jeudi les chefs d’État de la CEDEAO à “mettre fin à la situation politique actuelle, le 52eme sommet de la CEDEAO a plutôt apporté son soutien au gouvernement et renvoyé l’opposition au dialogue. Il n’y a donc rien à attendre de cette institution. À la veille de ce sommet, Djimon Oré, le président du Front des Patriotes pour la Démocratie (FPD) mettait en garde. “Ces présidents ne viendront pas dire à Faure Gnassingbé de quitter le pouvoir parce qu’une partie de l’opposition togolaise le leur a demandé“, avait-il déclaré sur une radio de la place.

Pendant ce temps, tout semble indiquer que Faure Gnassingbé est loin d’être hors-jeu. Car hormis quelques déclarations de principes et communiqués laconiques, aucun partenaire extérieur du Togo n’a délivré de carton rouge au locataire du Palais de la Marina. L’interview accordée à Jeune Afrique est la preuve qu’il essaie de pousser son avantage. Il peut compter sur la complaisance du monde extérieur. Déjà Emmanuel Macron lui a donné un blanc-seing pour 2020 et la Cedeao s’échine à dégonfler la contestation. L’opposition, qui voudrait faire jouer la jurisprudence Jammeh, est à court de soutiens et de stratégies. Dialoguera ou ne dialoguera pas? À quelles conditions ? Aux siennes ou à celles que tentent de lui imposer la Primature ? L’opposition semble avoir perdu la main, au profit de Faure Gnassingbé qui ne cesse de se renforcer. Il est toujours en piste et se renforce au détriment d’une opposition qui se trouve actuellement dans un navire qui tangue, et qui est à recherche d’une bouée de sauvetage.

Démission ou limitation des mandats ? Révolution ou élections ? L’opposition est réduite à ne reposer que sur le hasard, Dieu ou un coup de folie (fondre sur la Présidence: un risque qu’il ne faut pas oser prendre).

Des États-Unis à la France en passant par l’OIF ou la CEDEAO, personne ne semble cautionner l’aventurisme révolutionnaire ou la démocratie au bazooka. Le contexte géopolitique a changé. Le messianisme démocratique américain a cédé le berceau à la préférence nationale de Donald Trump. La Françafrique lie les mains de la France qui ne veut pas paraître néo-impérialiste.

Face à cette situation, deux alternatives s’offrent à l’opposition : la coalition des 14 ne peut reposer que sur la rue ou miser sur un hypothétique effondrement du régime sur lui-même. La deuxième hypothèse paraît davantage plausible et commande donc que d’ores et déjà, des stratégies de conquête du pouvoir par les urnes commencent à se mettre en place.

En ce sens, Fabre semble plus réaliste. “[…] Je crois que, comme d’habitude, la France va se réfugier derrière la position des organisations sous régionales comme la CEDEAO, l’Uemoa Elle ne veut pas s’exposer plus en avant. N’oublions pas que la politique étrangère de la France vise la défense de ses intérêts. Nos intérêts peuvent être divergents avec les siens. Nous ne devons par conséquent compter que sur nos propres forces. Tout attendre des populations. Et ne rien attendre des autres“, a-t-il confié dans une récente interview au journal La Croix.

Mohamed MADI DJABAKATE: “Faure peut remercier Gilchrist de lui avoir conseillé de partir en 2020”

Soleil FM a abordé ces questions avec Monsieur Mohamed MADI DJABAKATE, président du Conseil d’administration du Centre pour la Gouvernance Démocratique et la Prévention des Crises (CGDPC). L’homme n’a pas manqué de parler du périple africain du président français, Emmanuel Macron. Lecture.

Soleil FM: L’actualité togolaise est marquée cette semaine par la sortie du président de l’Union des Forces de Changement, Gilchrist Olympio, qui annonce sa retraite politique. Que retenez-vous du parcours de l’homme ?
Mohamed MADI DJABAKATE: Un parcours en decrescendo d’un radical incompris au moment où il s’est compris lui-même. Un passé glorieux, un présent poussif et un futur anonyme. Plus profondément, un parcours essentiellement dicté par un entourage d’anciens compagnons de son feu père qui voyaient en son fils une opportunité de revenir aux affaires. Bref, un précurseur de Faure Gnassingbé qui comme lui est pris en otage par les compagnons de son père depuis le 5 février 2005. Tous deux ont une carrière politique intimement liée à leurs patronymes. En d’autres termes, un fils qui a fait les affaires d’un système dont son père a été fondateur jusqu’au moment de son éviction, en 2010, qui s’explique par son désir de s’assumer en remettant en cause une approche qui, selon lui, n’apportait pas les fruits escomptés.
Et c’est normal quand on comprend que son engagement politique était plus un combat entre le présumé assassin de son père et lui. La mort de Gnassingbé Eyadema en 2005 a pris de court Gilchrist qui s’est retrouvé sans adversaire pour poursuivre son combat.
En définitive, malgré la menace politique sérieuse qu’il a constituée au pouvoir d’abord de Eyadema et dans une certaine mesure de Faure, malgré tout ce passé politique bâti sur la dépouille de son père, Gilchrist Olympio a fini sa course politique la queue entre les jambes parce que fragilisé par la non application de l’accord UFC-RPT qui était devenu la justification de son revirement stratégique. Bref, il a été finalement détruit par le système qui a pris la place de celui créé par son père.
Dans sa déclaration, Gilchrist Olympio demande au Chef de l’Etat d’écouter la voie de la sagesse, de saisir l’occasion de rentrer dans l’histoire et de ne pas se présenter à la présidentielle de 2020. Un coup dur pour Faure Gnassingbé?
C’est clair que ce ne sont pas des propos de nature à avantager Faure. Car sans verser dans son ancienne méthode qui consistait à faire le sensationnel, Gilchrist a donné sa position pour le dialogue qui s’annonce : Faure doit terminer son mandat en cours et se retirer du jeu politique. Et pour donner l’exemple lui-même Gilchrist annonce son retrait. Un retrait qui en réalité est un message à tous ceux qui croyaient que le fils de Sylvanus était obsédé par le fauteuil présidentiel.
Gilchrist une fois de plus tend la main à Faure Gnassingbé pour qu’ils écrivent ensemble une nouvelle page de l’histoire du Togo : la fin de la prise en otage des togolais par les familles Gnassingbé et Olympio.
Il ne faut pas croire que cette sortie sonne le glas du divorce entre l’UFC et le régime (RPT d’hier et UNIR d’aujourd’hui). C’est juste une façon pour la victime de Soudou de donner de la voix et rappeler à tous les acteurs qu’il n’est pas devenu un simple trophée d’exhibition. Il  serait donc exagéré de dire que Faure a perdu un soutien de taille car il n’a jamais été dans le programme de Gilchrist de rester indéfiniment dans l’ombre de Faure. En faisant son choix de 2010, il se voyait plus dans la posture d’un Mandela qui faisait un compromis transitoire en attendant de reprendre le pouvoir au dernier président blanc. Sa stratégie a échoué car pris de court par ses lieutenants qui sont allés créer l’ANC version togolaise au moment où il avait besoin de surfer sur son mythe de premier opposant. Bref comme Edem Kodjo mis en minorité par le CAR devant le RPT, Gilchrist a été mis en minorité par les caciques de l’UFC devant le RPT.Cette situation était prévisible à cause de la mauvaise foi caractérisant le pouvoir en place et qui se traduit par le non-respect des accords signés de père en fils.
En revanche, le message de Gilchrist à l’endroit du président Faure au sujet de la présidentielle de 2020 est d’une maturité incontestable. Un repli de Faure en 2020 est sage car il vaut mieux prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge pour paraphraser Winston Churchill. Sinon il finira par voir les oiseaux déféquer sur sa tête à force de trainer sous l’arbre à palabre pour reprendre une pensée africaine.
 Certains diront qu’aucune loi ne l’empêche d’être candidat et que personne ne doit l’en dissuader. Mais il faut tout simplement que ces personnes prennent conscience du fait que cette crise togolaise qui malheureusement traverse les générations, n’a pas sa racine que dans les considérations juridiques de la dévolution et l’exercice du pouvoir, mais aussi a un caractère très historique. C’est un affront national que de se savoir gouverner par une seule famille sur plus d’un demi-siècle alors même qu’on dit être dans une République, un Etat de droit. Et cet affront, les Togolais veulent le laver peu importe leur appartenance politique ethnique ou religieuse.  Pour vous dire que même au sein du parti UNIR, les gens souhaitent ardemment un changement à la tête de l’Etat. Mais la peur de subir peut-être le même sort que les anciens ministres Boko, Bodjona et compagnie résigne plus d’un.
Faure peut remercier son Grand Frère et ami Gilchrist d’avoir pris position pour qu’il quitte le pouvoir en toute dignité.
 Aujourd’hui que Gilchrist Olympio semble lâcher Faure Gnassingbé, pensez-vous que ce soit un tournant décisif dans la crise sociopolitique que traverse le Togo?
Balle à terre. Gilchrist a donné sa position. Il revient au groupe des 14 de savoir comment le capitaliser. Somme toute, cet élément nouveau dans l’atmosphère politique déjà morose, ne peut constituer un tournant décisif dans la crise puisque les protagonistes de la crise sont bien connus et les tractations sont déjà mises en branle pour la tenue d’un dialogue qui puisse s’ouvrir sur une sortie de crise afin de soulager les souffrances des Togolais. La crainte reste l’interprétation que chaque partie fait du dialogue annoncé.
 Parlant de cette crise, des tractations sont en cours pour la tenue prochaine d’un dialogue. On a vu le président guinéen Alpha Condé recevoir les leaders de certains politiques en France ; on a aussi vu des émissaires du président ghanéen et ce dernier lui-même arriver au Togo. Quelle devrait être l’attitude de chacune des deux parties pour que ce dialogue soit le dernier et que l’on connaisse une issue définitive à la crise sociopolitique au Togo?
Effectivement, les tractations sont en cours pour l’ouverture très prochaine d’un dialogue. Mais eu égard aux discours qu’ont tenu certains leaders de la coalition de l’opposition au sujet de l’option du dialogue, on ne peut pas s’attendre à autre chose qu’un dialogue par procuration car les vrais protagonistes ne seront pas autour du dialogue. Il faut également rappeler qu’il y a une grave crise de confiance entre pouvoir et opposition qui trouve ses racines dans le triste sort ornemental qu’ont connu tous les accords politiques passés. C’est un secret de polichinelle. C’est d’ailleurs sur ça que voudrait jouer la coalition en disant que si leur plate-forme revendicative ne pouvait immédiatement être considérée, alors Faure devra démissionner puisqu’au vu de la longueur de la liste des accords et dialogues politiques stériles, rien ne leur garantit la sincérité d’un prochain dialogue.
Heureusement, je puis dire que sur la pression des tiers, les acteurs commencent par faire preuve de volonté et de disponibilité au dialogue, qui, comme on peut le remarquer, n’est pas irréfragable. Mais encore faut-il que déjà les acteurs adoptent une posture d’apaisement pour susciter un climat de quiétude afin de favoriser la convivialité entre les protagonistes. Et je crois que c’est à ce titre que le chef de l’Etat a pris au cours de cette semaine, certaines mesures non négligeables telles que la levée de l’état de siège sur la ville de Sokodé, la libération du docteur Samah, SG du Parti National Panafricain, sans oublier la libération en début de mois d’une quarantaine de personnes arbitrairement arrêtées puis détenues lors des manifestations de l’opposition, de même que la restitution des engins saisis lors de la marche du 7 septembre et aussi la levée de la procédure de contrôle judiciaire qui pesait sur Jean Pierre Fabre relativement au dossier de l’incendie des marchés de Lomé et de Kara.
Il est vrai que ces mesures restent en deçà des attentes formulées, surtout en ce qui concerne la libération des personnes arbitrairement détenues et aussi de la cessation de la chasse aux sorcières et de la répression des manifestations qui malheureusement continue dans certaines localités. Néanmoins il faut reconnaitre qu’un pas a été posé et inciter le chef de l’Etat à faire mieux.
De même du côté de l’opposition, même si la stratégie est désormais d’allier pression de la rue et dialogue, il serait raisonnable de donner un congé technique aux marcheurs et tendre progressivement vers des sit-in stratégiques. Il ne sert à rien de maintenir la tension électrique.
Aussi vais-je ajouter que tous les acteurs doivent revoir leurs discours ainsi que leur stratégie de communication afin de ne plus embraser le pays comme ce fut le cas depuis la veille du 19 août 2017. Un clin d’œil particulier sur ce point au Colonel Yark qui devrait faire plus dans la protection des civils que de jouer au chargé de communication du parti UNIR.
Enfin, j’exhorte tous les acteurs à être raisonnables et pragmatiques dans leurs prétentions et surtout de mettre en premier plan l’intérêt général qui se définit à travers les aspirations légitimes et clairement exprimées par le peuple. Et ces aspirations, je n’ai nul doute, sont contenues dans le rapport de la Commission sur les réformes même si nous pouvons dire qu’elles ne diffèrent en rien aux conclusions de l’APG signé en 2006 et qui n’a pas suffi malgré tout à éviter au Togo la crise actuelle.
Ce qui m’amène donc à insister sur le fait que chaque partie doit faire preuve de sincérité et de bonne foi, tout en mettant un accent particulier sur la part importante de la responsabilité du gouvernement dans l’aboutissement ou non du prochain dialogue. Ce qui n’exclue pas la responsabilité de l’opposition qui devra savoir raison gardée et être pragmatique. Au lieu de chanter la démission de Faure, elle devra plutôt entonner les revendications permettant de corriger un quart de siècle de rendez-vous manqués.
 Pendant ce temps, la coalition des 14 partis de l’opposition continue de manifester et dit utiliser ainsi sa seule arme pour maintenir la pression. Trouvez-vous opportunes ces manifestations ?
Je n’ai pu m’empêcher de le mentionner dans la question précédente. En réalité dire que ces manifestations que continue la coalition des 14 partis sont inopportunes, je ne le puis. Cette stratégie n’est que la résultante de l’histoire politique du pays. La crise de confiance a tellement gangréné la scène politique que l’opposition a peur de tomber encore dans le piège du marché de dupe qui a très longtemps caractérisé le système dépositaire du pouvoir depuis 1967.
Néanmoins je les invite à apprendre des dérapages de la grève générale illimitée tout comme des succès obtenus avant l’adoption de la charte des partis politiques.
Pour finir, abordons la tournée africaine du président français. Emmanuel Macron a prononcé un discours à l’Université de Ouagadougou 1 ; un discours dans lequel il semble appeler les dirigeants africains à plus d’actions à l’égard de leurs populations. Beaucoup ont aussi relevé une « humiliation » à l’endroit de son homologue Christian Kaboré. Une analyse de tout ceci?
 Une humiliation à l’endroit de son homologue Christian Kabore ? Pour moi, c’est une levée de bouclée émotive. S’il a fallu attendre l’arrivée de Macron pour climatiser des amphithéâtres, on ne doit pas être surpris d’être pris pour un technicien du froid. S’il a fallu l’arrivée de Macron pour que le Président se retrouve devant les étudiants, il ne faut pas être surpris de voir les étudiants aborder des questions qui n’ont rien à voir avec le visiteur. Par ailleurs, reconnaissons-le ! Même si les questions étaient contextualisées aux préoccupations de la jeunesse Burkinabè, aussi bien que son discours s’adressait à toute l’Afrique, autant ses ironies visent toute l’Afrique. C’est tout à fait normal quand on a des carences en bonne gouvernance de se voir interpellé. La Chine ne fut-elle pas colonisée ? Que dirons-nous des Etats-Unis ? Dites-moi si c’est leur métropole qui continue par leur dicter leur politique ou leur ligne de gouvernance ? L’Afrique doit se réveiller.
Merci à vous d’avoir répondu à nos questions.
Au-delà de l’honneur que vous me faites en m’invitant, c’est un devoir pour moi de penser l’avenir et le meilleur devenir de mon pays, mon continent et du monde entier. Alors merci à vous aussi de m’avoir donné l’opportunité de m’en acquitter.
 Interview réalisée à Lomé par Arafat DJAONA pour Soleil FM Guinée